toute reproduction, même partielle est strictement interdite sans l'accord du webmaster un industriel humaniste
Conférence
donnée par
à l’occasion de l’inauguration
de l’École
le
15 mai 2010 Les informations sur Monsieur Gustave Steinheil sont tirées de différentes sources, entre autres : - De l’ENCLOS, livre écrit par Hermann DIETERLEN, neveu de Gustave Steinheil fils de Christophe Dieterlen et de Julie STEINHEIL, sœur de Gustave. Ce livre, comme l’indique son titre, décrit la vie des habitants vivant dans l’espace appelé Enclos, en l’occurrence les familles STEINHEIL et DIETERLEN. Il fut mis à ma disposition par Pierre MATHIOT. - De GUSTAVE STEINHEIL, 1818 -1906, un autre livre, œuvre celui-là de Pierre DIETERLEN, autre neveu de Gustave et également fils de Christophe DIETERLEN et Julie STEINHEIL. - De diverses contributions parues dans la revue ESSOR sous la signature, notamment, de Pierre HUTT. - Du Nouveau Dictionnaire de Biographie Alsacienne des Sociétés d’Histoire et d’Archéologie d’Alsace - De deux registres contenant les procès-verbaux des Conseil d’Administration et de Surveillance de l’année 1872 à 1927, sauvés des flammes et mis à ma disposition par Lucien FUCHSLOCK fiche familiale de Gustave STEINHEIL)
Bonsoir
à toutes et à tous, IL ETAIT UNE FOIS. Dans les histoires des mamans il est généralement question de belles princesses et de nobles princes et elles se passent habituellement dans un lieu imaginaire. En lieu et place de princes et de princesses, mon histoire de ce soir raconte celle d’un homme qui a réellement vécu, non pas dans un lieu imaginaire, mais un lieu que vous connaissez tous puisque vous y habitez ou vous y êtes venus ce soir, il s’agit de Rothau. L’histoire commence il y a un peu plus de deux cents ans. Je vous propose d’imaginer Rothau quelques années après la Révolution alors que Napoléon Bonaparte préside aux destinées de la France En nombre d’habitants, c’était à peu près de la même taille qu’aujourd’hui, soit 1500. Mais il n’y avait alors encore ni train, ni électricité, ni téléphone, ni non plus, comme aujourd’hui, une route macadamisée reliant Strasbourg à Rothau et qui fait qu’aujourd’hui Rothau est le premier village entre Strasbourg et Saint-Dié. Une lettre du pasteur Oberlin à ses parents résidant à Strasbourg, nous apprend qu’il fallait 10 heures avec un char à bancs pour aller de Waldersbach à Strasbourg. Rapporté à Rothau, je pense que ce temps devait être d’au moins 8 heures. Les habitants de Rothau étaient dans leur grande majorité des gens qui vivaient chichement. Certains travaillaient dans les mines de fer ouvertes dans la forêt tout autour du village. D’autres étaient employés comme bûcheron par les propriétaires de ces mêmes forêts. Lorsque la saison le permettait, ils cultivaient leur petit lopin de terre pour en tirer de quoi nourrir leur famille ainsi que la vache ou la chèvre, leur unique richesse. En hiver, souvent famine menaçait, car si les maigres récoltes de l’automne avaient été mauvaises, les réserves d’aliments stockées dans la cave étaient vite, trop vite épuisées. Et de l’argent pour acheter de la nourriture, il n’y en avait pas. L’alcool faisait des ravages surtout dans la population masculine. Nous verrons plus loin que les statuts de la Caisse de Secours instituée par Steinheil excluaient les salariés nouvellement embauchés s’ils étaient âgés de 40 ans ou plus. Une quinzaine d’années avant la Révolution Française, vers 1770/75, un jeune pasteur, Frédéric Oberlin, avait pris ses fonctions dans le village de Waldersbach. Il se désolait de cette situation d’extrême indigence. Aussi, pour essayer de réduire la misère de la population il a pris de nombreuses initiatives dont une consista à faire gagner de l’argent aux pauvres familles paysannes en leur permettant travailler dans leurs moments d’inaction et donc plus particulièrement en hiver. Pour leur procurer ce travail rémunéré, il s’est entendu avec un industriel du textile de Ste Marie aux Mines, un certain Reber, spécialisé dans la filature, le tissage et la teinture du coton. Sur l’insistance du pasteur, celui-ci accepta de placer chez les paysans volontaires des métiers à filer et à tisser. En contrepartie de leur production, l’entrepreneur leur payait ensuite un salaire. A l’instar des villageois de Waldersbach et alentours, beaucoup de Rothauquois ont également accepté de faire ce genre de travail et ont ainsi pu bénéficier d’appréciables et appréciées rentrées d’argent. Quelques années plus tard, nous sommes dans la période 1802/1803. Comme vous vous souvenez certainement de vos livres d’Histoire, la France de Napoléon Bonaparte est alors très souvent en guerre avec ses voisins. Des centaines de milliers de soldats sont sous les armes. A tous ces hommes il faut fournir de quoi se vêtir. Ce qui donnera des idées à un certain Jonathan WIEDEMANN, citoyen de Rothau. La demande en toiles de coton étant forte et les paysans-tisserands à domicile isolés face aux acheteurs de Strasbourg, de Barr ou de Sainte-Marie-aux Mines, Monsieur Wiedemann installe un atelier de stockage dans lequel il rassemble à la fois le coton brut, les filés et les tissés. Les paysans fileurs ou tisseurs viennent le voir à son magasin de stockage pour s’approvisionner selon qu’ils étaient fileurs ou tisseurs, en coton ou en filés travail à leur domicile. Une fois leur travail terminé, ils rapportent leur production (filés ou toiles d’écrus) à son atelier. Les toiles écrues, Wiedemann les propose ensuite à la vente à des commerçants qu’on appelle drapiers.
Monsieur Wiedemann compte parmi sa
clientèle un commerçant de Strasbourg, un certain
Mathieu Pramberger. Ce
dernier cherche une source d’approvisionnement constante et sûre, car la
concurrence est rude et les blocus économiques à la fois continental et
maritime imposés par les français d’un côté, les anglais de l’autre, ne
sont pas bonnes pour la sérénité dans les affaires. Mais sur ces entrefaites, (nous sommes en
1814) il y eut Waterloo, la défaite et l’exil de Napoléon avec comme
conséquence une crise économique sans précédent.
Pendant ses vacances scolaires, Gustave vient régulièrement à Rothau s’initier au travail en usine, aussi bien en filature qu’en tissage. Son temps libre, il l’occupera, en compagnie de ses trois cousins (tous trois futurs pasteurs), à faire des balades en forêt, des feux de camp avec pique-nique A côté de sa collection de pierres dans laquelle passait une partie de son argent de poche, son loisir préféré c’était la pêche. A Rothau on peut le voir jeter sa gaule dans les canaux des fabriques ou le long de la Bruche. A Strasbourg, c’est en barque qu’il sillonne avec ses copains tous les cours d’eau de la ville. Il s’est même fabriqué un filet de pêche. Passant partout avec leur barque, ignorant des dangers, la petite bande était connue sous le nom de « pionniers ». Lorsqu’il sera un plus âgé, vers 18 ans, il participera aussi très activement à la vie mondaine des industriels de la Vallée. Il adorait danser et avait beaucoup de succès auprès de la gent féminine. Après l’obtention de son diplôme commercial,
il effectuera pendant un an un vrai stage industriel dans les diverses
unités de production de la Maison Pramberger. Pour compléter ses
connaissances théoriques acquises à Leipzig, il suivra de 1838 à 1840
une formation pratique à Sainte-Marie-aux-Mines. Il logera, pendant
cette période, chez sa cousine Adèle, épouse d’un pasteur (Goguel). Ce
couple héberge également un condisciple de Gustave Steinheil, un certain
Christophe Dieterlen. Tous deux se lient d’amitié. Gustave Steinheil
achèvera son apprentissage commercial entre 1840 et 1842, par
plusieurs périodes de stage dans des commerces, principalement de tissus à
Paris, mais aussi à Brest, Quimper, Lorient et Rouen. En lisant le livre
de Pierre Steinheil sur son oncle Gustave, j’ai appris qu’il lui avait
fallu 3 jours et 3 nuits pour se rendre de Paris à Brest, assis sans
discontinuer sur l’impériale d’une diligence. Heureusement, l’association (d’une durée de 6
ans 1836 -1842) conclue entre Monsieur Portait et Mme Pramberger porta ses
fruits. La Maison Pramberger fut remise à flot grâce à la gestion avisée
de son associé. PDG de la nouvelle entité industrielle, Gustave Steinheil entreprend des travaux ayant pour objectif la diversification et la concentration des activités. Tout d’abord, il vend les ateliers de filature et tissage de Wildersbach et Neuviller. Il cède également aux familles les métiers installés à leur domicile. Avec l’argent tiré de ces cessions, il effectue ensuite d’importants investissements. Il fait ainsi notamment construire une nouvelle filature pour se rapprocher du tissage et de la teinturerie. Dans un autre ordre d’idées, mais toujours dès son accession à la tête l’entreprise, il met en œuvre ses convictions humanistes en faisant figurer dans les statuts de la nouvelle Société une réserve de 10% des bénéfices au profit des œuvres sociales. . Les secours couverts par cette Caisse prévoient que « le sociétaire malade recevra gratuitement : les soins d’un médecin ; tous les médicaments que le médecin ordonnera ; un secours de 80 ou 40 centimes selon la catégorie par jour de maladie. En cas d’accident ou d’infirmité dus au travail, le bénéfice de la gratuité des soins et des médicaments plus une pension de retraite. n Aux veuves dont le mari aura été victime d’un accident de travail, une pension sera servie. Une prime est versée aux jeunes gens effectuant leur service militaire. Les jeunes filles qui se marient reçoivent une dot. Au décès d’un sociétaire, un secours sous forme de pécule est versé à la famille du défunt. Etc. … D’autres actions, nombreuses et variées, seront encore prises en faveur des salariés et, par voie de conséquence, de la population en général de Rothau. Entre autres : construction de maisons pour les ouvriers, achat du château de Rothau pour le transformer en appartements destinés eux aussi aux salariés de l’entreprise, création d’un hôpital dont la direction est confiée aux sœurs diaconesses, distribution de café chaud et sucré pendant les heures de travail pour combattre l’alcoolisme, cours de formation à l’écriture et lecture pour adultes, bibliothèque, création d’une société de musique, d’un petit orphelinat, etc. … J’ouvre ici une parenthèse pour évoquer un fait un peu anecdotique qui m’a surpris par son côté « misogyne » ou « machiste ». Dans une lettre datée du 29 décembre 1884 et adressée au Président de la Caisse de Secours (en l’occurrence, Monsieur Gustave Steinheil) un ouvrier du tissage, un certain Jules Wolff, se déclare opposé à la proposition faite par le Président d’augmenter la prime accordée aux jeunes filles au moment de leur mariage. En lieu et place de cette prime, M. Wolff se dit plutôt favorable à une augmentation de la prime aux garçons effectuant leur service militaire. A l’appui de sa proposition, il apporte les arguments suivants : « autant la jeune fille qui se marie s’attend à être heureuse, autant le pauvre jeune homme (qui de nos jours doit servir une patrie étrangère) doit s’attendre à bien des déceptions et à bien des privations. Et il demande en conséquence « la suppression pure et simple de la pension de 2 francs par année de travail qui est accordée aux jeunes filles qui se marient et le versement de cette somme aux jeunes gens sous les drapeaux. » Malgré son argumentation selon laquelle (je cite les termes employés par Monsieur Steinheil) « non seulement les filles ne mangent pas la Caisse, mais, tout au contraire, leurs cotisations à la Caisse de Retraite bénéficient aux hommes et aux pensions des veuves des hommes qui meurent à l’atelier », le Président n’arriva pas à convaincre les représentants des salariés à la Commission Sociale. La proposition de Jules Wolf fut mise aux voix: résultat, sur les 54 votants, 34 se sont ralliés à la motion de Jules Wolff. Et c’est ainsi que les jeunes filles n’ont plus rien eu à l’occasion de leur mariage. L’exemplarité des actions en matière sociale de l’entreprise Steinheil-Dieterlen est remarquée et citée en exemple jusqu’au sommet de l’Etat. Et, à l’occasion de l’exposition de 1867 à Paris, en récompense des actions en faveur de ses salariés, Gustave Steinheil est élevé au grade de chevalier de la Légion d’honneur. Je n’ai pas trouvé de représentation physique (photo ou portrait) de Gustave Steinheil datée de cette période, alors qu’il avait entre 35 et 40 ans, dans la force de l’âge. Toutefois, en m’appuyant sur la description qu’en a faite son neveu, Hermann DIETERLEN, fils de sa soeur Julie et de Christophe DIETERLEN, son associé, on pourrait presque en tracer un portrait robot. Voici comment cet homme, pasteur missionnaire de son état, l’a décrit dans un livre intitulé « L’Enclos ». « D’oncle Gustave, je ne puis m’empêcher de dire que c’était un chef-d’œuvre du Créateur ou de la Nature, comme vous voudrez. De taille moyenne, admirablement proportionné et équilibré, les extrémités petites, le corps souple, la figure énergique, bienveillante et intelligente. Il avait développé ses qualités physiques par tous les exercices du corps auxquels un jeune homme peut s’adonner. Pour la gymnastique, la marche, la natation et tous les jeux d’adresse, il avait atteint la perfection …. » Et plus loin dans sa description, Hermann
poursuit : « tel oncle Gustave était au physique, tel il était au
moral. Il avait une nature et une mentalité essentiellement française, une
intelligence claire, nette, précise, prompte, bien pondérée, qui
s’appliquait avec succès à tout : aux affaires commerciales, à la
politique, aux questions sociales, à la théologie. Il était la cheville
ouvrière de la Maison Steinheil Dieterlen et Cie et en portait virilement
et avec compétence la grosse part de responsabilité. »
Gustave Steinheil dirigera
son entreprise avec compétence, clairvoyance, intelligence pour la
développer et la doter des outils nécessaires à ce développement. Vers la
fin des années 1850, sous son impulsion, la Société
Steinheil-Dieterlen développera deux nouvelles activités, sans
abandonner les anciennes. C’est ainsi que le blanchiment, l'entretien et
la réparation, font leur entrée dans les domaines que couvre la Société.
Elles s'accompagnent de nouveaux bâtiments, notamment un atelier
d'entretien, des bureaux rue du Château, et un bâtiment hydraulique avec
une turbine. C'est aussi dans ces années-là, dans le but de développer
son activité de teinture, notamment par la maîtrise du « rouge turc ou
d’Andrinople », que la Société s'attachera les services d'un ingénieur
chimiste, un nommé Armand Lederlin. Malgré les qualités et
compétences techniques de cet homme, et de ceux qui lui succéderont, cette
technique de teinture ne sera malheureusement pas maîtrisée du vivant de
M. Steinheil. La récession des années 1860 va durement frapper non seulement l’entreprise Steinheil-Dieterlen, mais sera par contre coup également très sévèrement ressentie par la population de Rothau. La forte diminution de la demande en produits textile va entraînés réduction d’horaires et chômage. Le chômage partiel indemnisé n’existe alors pas. Malgré les aides apportées par l’entreprise en matière alimentaire par, notamment, la fourniture gratuite de pommes de terre, la pénurie alimentaire s’installe dans tous les foyers. Ne pouvant obtenir davantage de l’entreprise qui les emploie, les ouvriers s’adressent à leur Maire pour leur venir en aide. Or le Maire c’est Gustave Steinheil. Il est, en effet, Maire de Rothau depuis 1852. Malgré son humanisme, malgré sa nature charitable, il a toujours proclamé sa préférence pour le travail plutôt que pour l’aumône. La Commune de Rothau étant propriétaire de forêts entre Fouday et Rothau, Monsieur le Maire STEINHEIL proposa aux ouvriers de son usine venus lui demander l’aide de la municipalité de réaliser des travaux d’intérêt général. Parmi les travaux proposés il y avait l’offre de coupe de bois dans la forêt communale. Mais il ne suffisait pas de couper et d’entasser les grumes, il fallait aussi se donner les moyens de les débarder. Pour ce faire, il fallait un chemin d’accès. La décision fut donc prise de réaliser une route forestière entre Rothau et Fouday. Cette décision ne fit de loin pas l’unanimité parmi la population qui ne comprenait pas pourquoi il fallait ouvrir un nouveau chemin alors qu’il en existait déjà un reliant Fouday depuis le Pont de Charité. Toutefois, la décision de Monsieur le Maire prévalut. Pour aller plus vite et ne pas se gêner dans le travail vu le grand nombre de volontaires, il fut décidé d’entreprendre les travaux par les deux bouts : Fouday, d’une part, Rothau, d’autre part. On progressa rapidement des deux côtés. On finit même par se dépasser, mais on ne se rencontra jamais. Ce fameux chemin existe encore aujourd’hui, il a pour nom « Chemin de la Folie ». M. Steinheil, Maire, géra sa commune avec l’aide de son conseil municipal avec clairvoyance et un savoir-faire certain. C’est ainsi que, malgré des ressources forestières bien moindres que d’autres communes voisines, il réussit le tour de force de doter Rothau, entre 1852 et 1868, de 2 écoles maternelles, 2 écoles primaires et de 2 églises (le temple protestant inauguré en 1865 et l’église catholique totalement restaurée et inaugurée en 1868).
Pour Gustave Steinheil, l’industriel, la récession ne devait pas empêcher toute opportunité pouvant pérenniser l’avenir de l’entreprise. C’est ainsi qu’en 1868, en pleine crise donc, il ne tergiversera pas longtemps pour saisir l’offre de Victor Champy d’acheter son unité de filature et tissage de la Renardière. L’entreprise racheta le tout et s’enrichit ainsi de 6420 broches de filature, 90 métiers à tisser à quoi il faut ajouter terrains, canaux, turbines et moteurs hydrauliques. Cette usine sera complètement détruite 10 ans plus tard par un incendie. Elle sera remplacée par une filature à la pointe du progrès, selon son neveu Pierre Dieterlen. Ce terme « progrès », son ancien collaborateur, Armand Lederlin, l’emploiera également lors de l’allocution qu’il prononcera sur sa tombe 20 ans plus tard, en qualifiant Gustave Steinheil « d’homme de progrès » Mais avant de poursuivre l’évocation de Gustave Steinheil en tant qu’industriel et homme politique, je voudrais ouvrir une parenthèse et dire quelques mots de cette fameuse « Ecole du Dimanche » dont il fut l’instigateur et l’animateur pendant près de 63 ans. En effet, dès 1843, en somme dès son installation définitive à Rothau comme directeur de la Filature de Mme PRAMBERGER, Gustave Steinheil, frappé par le quasi total analphabétisme me de l’ensemble des jeunes enfants de Rothau (et de leurs parents), décida de créer une école du dimanche pour leur apprendre un minimum de rudiments de lecture, d’écriture, de calcul tout en créant les conditions nécessaires pour les former à devenir de bons chrétiens. Il faut se rappeler qu’avant la loi de Jules Ferry sur l’obligation d’instruction datée de 1881/82, il n’y avait quasiment pas d’école dans les campagnes françaises. L’acquisition de ces savoirs de base Monsieur Steinheil les inculquera à ces jeunes élèves par l’apprentissage de cantiques et d’histoires bibliques. Pourquoi cette Ecole se tenait-elle uniquement le Dimanche et non pas à d’autres jours de la semaine ? Pour le comprendre, il faut savoir que ce n’est qu’en 1841 qu’une loi a été votée interdisant l’emploi dans les usines d’enfants de moins de 8 ans. Ce qui signifie, a contrario, qu’à partir de l’âge de 8 ans les enfants pouvaient être employés dans les usines. Nous pouvons donc légitimement en conclure que des enfants de cet âge travaillaient dans les ateliers de filature et tissage de Rothau. Ils n’avaient donc ni la possibilité ni le temps d’aller à l’école un autre jour que le dimanche, car la semaine de travail était de 6 jours, du lundi au samedi inclus. Gustave Steinheil, par la création de son École du Dimanche, voulait également permettre aux enfants de Rothau de s’ouvrir à autre chose que le travail abrutissant qu’il leur était promis de devoir mener jusqu’à la fin de leur vie. Selon Hermann Dieterlen, cette école se tenait à « l’Asile », salle située près du presbytère protestant. Pour l’aider dans sa tâche, il avait réuni autour de lui toute une équipe de moniteurs et monitrices. Ce fut une des toutes premières Écoles du Dimanche fonctionnant en France. Aussi, écoliers de Rothau, je tiens ici à saluer le choix judicieux qui fut le vôtre de donner le nom de Gustave Steinheil à votre école et ce, à l’occasion de la dotation d’une de vos classes des moyens technologiques qui permettront à vous et à ceux qui vous remplaceront année après année sur les bancs de ces salles de classe, d’accéder au savoir nécessaire et indispensable qu’est devenue aujourd’hui l’utilisation de l’informatique. La guerre franco prussienne de 1870 et la défaite de la France auront pour conséquences des changements fondamentaux pour Gustave Steinheil, aussi bien en sa qualité de Chef d’entreprise que de ses activités politiques. Lorsque, en août 1870, après la défaite française à Woerth (bataille de Reichshoffen dans les livres d’histoire), l’armée ennemie vient camper à Rothau. Gustave Steinheil, qui veut démissionner de sa charge de maire, voit sa démission refusée par les autorités Prussiennes. Il devra faire face à de multiples et répétées tracasseries. C’est ainsi qu’après un attentat contre une patrouille prussienne par des francs-tireurs et de la menace du commandant allemand de mettre le feu aux quatre coins du village, M. Steinheil réussit à le convaincre de l’injustice d’une telle mesure. Mais en contrepartie, les autorités prussiennes exigèrent du Maire la liste des jeunes gens en âge de porter les armes. Il refusa. Chaque refus de sa part fut assorti d’une amende de plus en plus lourde (50 Francs, puis 500 Frs, 5000 Frs, etc. …). S’ajouta à cette amende, l’obligation d’héberger dans sa propriété et de nourrir 60 soldats. Lorsque l’amende atteint 25000 Francs, G. Steinheil réunit son conseil municipal, à son domicile, en vue d’une décision collégiale sur cette question, car les sommes réclamées prises sur ses biens personnels, commençaient à mettre ses propres finances en grand danger. Bien que se disant opposé à la demande de livrer la liste de jeunes gens, il précisa qu’il acceptera de se plier à la décision du Conseil tout en annonçant que quelque soit cette décision il était décidé de démissionner de sa charge de maire, ne supportant plus les tracasseries continuelles dont il faisait l’objet de la part des prussiens. Après de longues discussions, le conseil décida de remettre la liste demandée aux autorités prussiennes. Après quoi, conformément à sa promesse et après enfin obtenu l’accord des autorités prussiennes, Gustave Steinheil démissionna. Il sera remplacé par David Horter.
Cet événement eut lieu en janvier
1871. Je rappelle que Rothau fait partie à ce moment-là, comme tout le
canton de Schirmeck et d’ailleurs également de Saales, du
département des
Vosges. Or, après la chute et l’exil de Napoléon III et la
proclamation de la république, les dirigeants allemands, afin de pouvoir
conclure un traité de paix avec un gouvernement légitime, exigèrent que
des élections législatives aient lieu au plus vite. Ils laissèrent trois
semaines pour leur préparation. Elles auront lieu en février 1871. En effet, en mai 1871, le traité de Francfort signe la paix entre la France et le nouvel Empire Allemand. Mais les conséquences vont être dramatiques pour l’Alsace. Dramatiques, car l’Alsace, ainsi que les deux cantons de Schirmeck et Saales sont rattachés à l’Allemagne. Et, par voie de conséquence, l’Entreprise Steinheil-Dieterlen se trouve désormais en Allemagne. Pour Gustave Steinheil un grand dilemme se pose : opter de rester en France ou revenir à Rothau. Il choisira, comme on l’a vu, la seconde solution. Nous ne connaîtrons jamais la teneur des discussions qui aura conduit à cette décision. Ce que nous pouvons imaginer, c’est que cette lourde et grave décision a été prise d’un commun accord entre les dirigeants de la Société Steinheil-Dieterlen et Cie. Car cette décision ne concerne pas uniquement Gustave Steinheil et son retour à Rothau, mais engage l’ensemble de l’organisation de la Société Steinheil-Dieterlen : ainsi, il fut convenu que, pour sauvegarder la clientèle française de Steinheil-Dieterlen, le cogérant et beau-frère, Christophe Dieterlen, ses 8 fils (à l’exception de l’aîné Alfred) ainsi que l’ingénieur spécialiste en teinturerie, Lederlin, iraient fonder une entreprise de blanchiment et teinture à Thaon les Vosges. Quant à Monsieur Steinheil la décision est prise qu’il reste à Rothau pour continuer à diriger la Société Steinheil-Dieterlen et Cie assisté de son gendre, Ernest Fuchs, et son neveu Alfred Dieterlen. La raison sociale est transformée en Steinheil-Dieterlen SA. Mais, et c’est important de le remarquer, devenue Société Anonyme, la Société Steinheil-Dieterlen est désormais une société par actions. Gustave Steinheil qui continue a en être le patron est secondé officiellement par deux cogérants : Alfred Dieterlen, son neveu et Ernest Fuchs, son gendre, mari de sa fille Amélie-Cécile. Monsieur STEINHEIL, en tant que gérant en chef, doit répondre devant un Conseil d’Administration et de Surveillance. Ce Conseil, à la lecture des procès-verbaux consignés dans deux grands livres, se réunit au moins une fois par mois. Réunions au cours desquelles sont rendues compte des décisions de la Direction et sont examinées les propositions notamment en matière d’investissements. Durant les années qui suivent les affaires marchent plutôt bien. Les parts de marché perdues en France sont assez rapidement récupérées en Allemagne. La prospérité de l’entreprise est attestée par sa participation à l’Exposition Universelle de 1889 à Paris. Monsieur Steinheil y a présenté une « notice sur quarante-deux années de Participation des Ouvriers aux résultats d’une Manufacture de coton ». Suite à quoi, la Société Steinheil-Dieterlen SA a été récompensée par un diplôme d’Honneur. Il semble d’ailleurs très probable que les lois d’Empire (Allemagne) de 1891, 1896 et 1900 relatives à la Sécurité Sociale, la Retraite des salariés, les Accidents du Travail et Maladies professionnelles, aient été en partie inspirées par cet exemple alsacien. Ce qui a d’ailleurs eu pour conséquence que ces lois, rendues obligatoires pour toutes les industries de l’Empire Allemand, ont rendu caduques les accords d’entreprise en vigueur chez Steinheil-Dieterlen Monsieur Steinheil, qui a abandonné tous ses mandats publics d’avant l’annexion à l’Allemagne, ne manque cependant pas de travail. A côté de la direction et la gestion quotidiennes de l’entreprise, il continue de mener des actions en faveur de sa modernisation : amenée du gaz comme énergie dans les usines, raccordement, en 1878, au chemin de fer par le prolongement de la voie ferrée de Mutzig à Rothau, préservation des intérêts de son entreprise en menant « la bataille de l’eau » contre un industriel du haut de la Vallée qui, effectuant des retenues indues d’eau pour alimenter les moteurs hydrauliques de sa propre usine, en privait les usines en aval. Après moult actions en justice, G. Steinheil, chef de file des autres industriels installés sur la Bruche, remporta la victoire. Le raccordement au chemin de fer avait ouvert une brèche dans le mur qui ceinturait ce lieu où cohabitaient à présent plusieurs familles avec leurs nombreuses progénitures, et que Hermann Dieterlen, à travers son livre, nous apprit s’appeler l’Enclos. Selon Pierre Dieterlen, à l’occasion de certaines fêtes familiales il y avait jusqu’à 90 adultes et enfants présents sur les lieux. Une question qu’on est en droit de se poser, c’est le pourquoi de ce haut mur qui ceint ce qu’on appelle aujourd’hui le parc de Steinheil. Gustave Steinheil habitait avec femme et enfants la grande Maison de Maître construite en 1808 par Jonathan Wiedemann. Avec l’agrandissement de sa famille, il avait rajouté un étage à cette bâtisse avec une toiture en ardoise, comme on peut encore le voir aujourd’hui. Ses deux sœurs qui restèrent célibataires, Maria-Noémie et Maria, logeaient au dernier étage de cette grande bâtisse. Christophe Dieterlen, beau-frère de Gustave, avait construit une maison à une centaine de mètres en aval. Une autre demeure sera construite vers le haut pour recevoir sans doute la famille créée par Alfred Dieterlen. On aurait pu penser que chacun des résidents de ces demeures aurait pu aménager son chez-soi à l’abri d’une clôture (mur, haie) comme cela se faisait sans doute à leur époque par tout propriétaire et comme cela se pratique encore de nos jours. Eh bien non. Les Steinheil et les Dieterlen qui résidaient dans « ce parc » se considéraient sans doute comme d’une seule et même Famille. Et, comme toute famille désireuse d’avoir un chez-soi avec une certaine intimité, la famille Steinheil-Dieterlen a clôturé son chez-soi avec ce mur en grande partie encore debout aujourd’hui. Et ils baptisèrent ce chez-soi : « l’Enclos » Mais cette cohabitation ne devait pas toujours aller de soi. Et certains jours, les inévitables désaccords sur la façon de conduire, de gérer l’Entreprise ne pouvaient pas être réglés par la seule prière et la foi en dieu. Pour exemple, le problème qui surgit entre Monsieur Steinheil et son cogérant mais en même temps gendre, Ernest FUCHS. En effet, voici que, en juillet 1882, à la grande surprise des actionnaires, Ernest Fuchs fait parvenir une lettre au conseil de Surveillance dans laquelle il fait part de sa volonté de démissionner. Interrogé par les membres du Conseil sur les raisons réelles de cette démission, Monsieur STEINHEIL refuse de prendre position, estimant que son gendre est libre de ses décisions et qu’il ne lui appartenait pas de discuter des motifs invoqués dans la lettre (fatigue, désir de faire et voir autre chose, de se rapprocher de ses fils émigrés en France). On peut tout de même imaginer que certaines réunions de famille ne devaient pas toujours se dérouler dans une parfaite sérénité. D’autant plus que Monsieur Fuchs a maintenu sa démission pendant quatre longues années, avant de la retirer, en 1886, sur l’insistance répétée du Conseil d’Administration. Mais le proverbe ne dit-il pas que « le linge sale se lave en famille »
Le 4 décembre 1902, épouvantable
coup dur pour la Société : Alfred DIETERLEN, neveu de Gustave et
cogérant de la Société, décède. Il a tout juste 56 ans.
Quant à lui-même, il va avoir 84
ans quelques jours plus tard et voit sa santé décliner. Elle avait déjà
été fragilisée vers la fin des années 90 où il avait dû réduire fortement
ses activités pendant plusieurs semaines. Mais il s’était bien remis et
avait pu rependre toutes ses activités aussi bien au niveau de
l’entreprise qu’à celui de la paroisse protestante où son engagement
restait toujours aussi intense. Il continue notamment à participer à
l’animation de l’Ecole du dimanche. Il poursuit sans relâche ses lectures
d’ouvrages théologiques et prend encore part aux discussions des pasteurs
et des théologiens. Et, selon Hermann Dieterlen, « jamais il ne
permit que le ressort de sa vie morale fût faussé ou relâché, car il
connaissait les sources de la vie et se renouvelait quotidiennement à la
fontaine de Jouvence qu’est Dieu ». L’esprit de famille qui l’aura animé toute sa vie durant, il souhaite qu’il se perpétue au-delà de la mort. C’est ainsi, quand les décès commenceront à frapper les membres de la famille, qu’il fut décidé d’un commun accord de reconstituer au cimetière de Rothau ce qu’un petit-fils de Gustave Steinheil, Alfred FUCHS, fils de Ernest et de Madeleine Steinheil, appellera plus tard « l’esprit de l’Enclos … Esprit qui, selon lui, se manifeste par un certain idéal moral et spirituel ». C’est dans ce but, qu’une concession commune aux deux familles, les Steinheil et les Dieterlen, fut achetée et ce sans doute dès le début des années 1850, puisque le père de Gustave Steinheil, décédé en 1856 y fut enterré. C’est là, dans une petite enclave clôturée d’un grillage en fer forgé, qu’iront reposer les uns après les autres les membres de cette grande famille que furent les Steinheil, les Dieterlen et leurs alliés. Les deuils se suivront dans l’Enclos. Après le père de Gustave Steinheil, ce seront sa belle-mère Marie-Salomé, ainsi que sa fille Aimé, toutes deux décédées en 1868. Le plus surprenant est que des membres expatriés de la famille demanderont à être enterrés dans l’Enclos. Ainsi, Christophe Dieterlen qui, devenu pasteur à Paris après la création de son entreprise à Thaon, sera inhumé à Rothau en 1875. En 1904, Monsieur Steinheil s’est quasiment retiré de la direction de l’entreprise, menée à présent par son gendre Ernest FUCHS en partenariat avec Monsieur Arthur CHATELANAT. Au
cours de l’hiver 1904/05, sa santé s’est fortement altérée. Il continue
malgré tout à fréquenter les offices du dimanche et participe encore à des
discussions théologiques. En effet, quelques semaines plus tard, une fatigue générale se manifestant sous forme de somnolence de plus en plus prolongée le clouera de longues heures au lit. Et, comme l’écrira Pierre Dieterlen quelque temps plus tard, « comme une lampe à huile en manque du nécessaire carburant » Monsieur Steinheil déclinera de jour en jour, sans une plainte, son une once de mauvaise humeur. Et c’est dans le sommeil que, le jeudi 8 février 1906, il rendra son âme à Dieu. Selon Pierre Dieterlen qui se trouvait à son chevet, le dernier mot prononcé sera celui de « Jésus ». Il était dans sa quatre vingt huitième année. L’enterrement aura lieu le dimanche 11 février 1906 après-midi. La neige tombée durant la nuit recouvrait comme un linceul blanc les toits des maisons et les plates bandes des jardins de l’Enclos. Le curé catholique avait avancé l’heure des vêpres de 1 heure pour permettre à ses ouailles d’assister à l’enterrement. Le cortège funèbre démarra de la maison du défunt. En tête du cortège, les enfants de l’Ecole du dimanche portant palmes et couronnes mortuaires. Derrière le cercueil juché, selon la tradition rothoquoise, sur quatre épaules d’homme, la famille du défunt, le Conseil de fabrique, les représentants du Consistoire, le Maire et son Conseil municipal, les pompiers, la chorale et, enfin, la fanfare municipale jouant une marche funèbre. L’office est concélébré par son neveu, le pasteur Pierre Dieterlen, assisté par le curé North, pasteur de Rothau, et par le président du Consistoire, le pasteur Herzog. Massée des deux côtés de la route qui mène au cimetière, l’impressionnante foule de gens de toutes conditions, de tout âge lui fait une dernière haie d’honneur. Ainsi Gustave STEINHEIL, l’Industriel, le Maire, le Député a eu des obsèques grandioses, hommage mérité à un homme de valeur qui avait marqué de son empreinte trois quart de siècle de l’histoire de Rothau, mais,
selon sa volonté, ce sera sous un simple bloc de granit gris, dans
l’Enclos Steinheil-Dieterlen du cimetière de Rothau, que reposera, entouré
des siens, GUSTAVE STEINHEIL.
Mardi 9 novembre 2004: Gérard avait
fait une conférence au Club Féminin en sur le thème
voir ci-dessous: un extrait du bulletin de
liaison de la commune de ROTHAU
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